Théories de l’énonciation
(linguistiques)

Théories de l’énonciation.

COURS.1

 Introduction :

 

     À chaque fois que nous parlons, nous mettons la langue en exercice et nous produisons un énoncé. L’énoncé peut se répéter mais l’acte en lui-même est à chaque fois individuel et unique, il n’est jamais le même parce qu’il dépend de plusieurs paramètres qui changent d’une situation à l’autre. Si nous considérons que l’énoncé est le produit ou le résultat de cette mise en exercice de la langue, l’énonciation représente l’acte de production.

   Le terme a été employé depuis le Moyen Âge, avec un sens logique et grammatical. L’énonciation correspondait à la proposition, au sens logique du terme. A partir du XIXème   siècle le mot a pris un sens très large et un sens précis. Au sens strict, l’énonciation désigne l’acte même d’énoncer (énoncer + ation = action d’énoncer).

Toutefois pour l’étudier il est clair qu’il faut prendre en considération un grand nombre d’éléments : la personne qui parle, par exemple, mais aussi à qui elle parle, le lieu et le moment de l’énonciation, les conditions sociohistoriques qui l’entourent, etc.

   Dans le domaine des sciences du langage, la prise en compte de tels paramètres a conduit à de grandes modifications dans la description de nombreux phénomènes. En effet, la parole qui a longtemps été marginalisée par les études linguistiques s’est retrouvée au cœur des théories de l’énonciation, car définir l’énonciation comme « la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation » (Benveniste 1974 :80), c’est aussi introduire l’aspect extra linguistique pour expliquer les phénomènes langagiers.

C’est pourquoi l’analyse « linguistique » d’un discours dans une approche énonciative doit d’abord passer par :

ü  Un repérage du locuteur : par quels moyens inscrit-il sa présence à l’intérieur de son discours ? D’après Benveniste le locuteur « s’approprie l’appareil formel de la langue » ; il énonce sa position par « des indices spécifiques » tels que les pronoms personnels, les possessifs, etc.

ü  La détermination du contexte d’énonciation : Quand ? où ? et pourquoi cet énoncé a-t-il été dit ?

ü  Et enfin, par l’identification du destinataire de l’énoncé : A qui s’adresse-t-il ? qui est (sont) visé(s) par le contenu de cet énoncé ? Car le locuteur « implante l’autre en face de lui, quel que soit le degré de présence qu’il attribue à cet autre. Toute énonciation est, explicite ou implicite, une allocution, elle postule un allocutaire » (Ibid.82)

   Ainsi, le rapport locuteur- allocutaire s’inscrit dans un contexte particulier qui correspond à la situation du discours et qui permet à chacun d’eux d’identifier l’objet de discours par le processus de la référence.

Il faut dès le départ essayer de préciser la différence entre énoncé et énonciation même si les limites ne sont pas bien tracées. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COURS2. Énoncé  vs Énonciation 

   Les deux termes étant très polysémiques, plusieurs définitions se présentent à nous : « Ce que produit un locuteur, ce qu’entend un auditeur, ce n’est (donc) pas une phrase, mais un énoncé particulier d’une phrase » à partir de cette citation de Ducrot (1980 :7) on peut dire que l’énoncé peut être considéré comme le produit ou le résultat d’un acte puisqu’il s’agit de la réalisation d’une phrase dans une situation donnée. L’énonciation est alors vue comme le processus même qui a pour point d’arrivée la réalisation de l’énoncé.

   Donc, pour comprendre un énoncé, il est important de comprendre les raisons qui ont participé à sa réalisation et qui changent à chaque situation. Car « l’énonciation est un processus unique, en ce sens qu’elle ne peut être reproduite sans que soient modifiées les conditions dans lesquelles elle se réalise » (Bracops 2006 :174)

   C’est ainsi que Maingueneau (1981 :5) parle de « l’énonciation comme acte individuel d’utilisation de la langue pour l’opposer à l’énoncé, objet linguistique résultant de cette utilisation ». Il oppose alors l’acte au produit (objet fabriqué, résultat de cet acte) :

- Comme objet événement, il est extérieur à l’individu ;

- Comme objet fabriqué par le sujet dans lequel il s’inscrit et laisse des traces :

 

 

 

 

 

 

 

 

COURS.3. Les différentes théories énonciatives :

A- L’énonciation chez Benveniste :

   La théorie de l’énonciation a été développée en France par les travaux de Benveniste (1966-1974) qui a mis l’accent sur la présence de « l’homme dans la langue ».

La définition benvenistienne privilégie le pôle de l’énonciateur en s’intéressant à la relation du locuteur à la langue : « l’énonciation suppose la conversion individuelle de la langue en discours » (Benveniste 1974 :81), ceci suppose que l’acte d’énoncer peut être envisagé sous différents aspects, celui qui l’intéresse le plus concerne la détermination du cadre formel de sa réalisation.

    En parlant d’acte individuel, il présente le locuteur comme premier paramètre dans les conditions de l’énonciation, il transforme la langue en discours : « après l’énonciation, la langue est effectuée en une instance de discours »    

   Cette réalisation individuelle est vue aussi comme une « appropriation » de la langue par le choix des différents indices qui vont lui permettre de se poser comme locuteur et de poser l’autre comme allocutaire. « En tant que réalisation individuelle, l’énonciation peut se définir, par rapport à la langue comme un procès d’appropriation»   

   Enfin l’énonciation permet au locuteur d’exprimer sa vision du monde. Pour cela, il doit référer aux objets de ce monde de manière à permettre à son allocutaire une interprétation. Il lui donne des indices pour une co– référence. Pour Benveniste, la particularité de chaque situation d’énonciation réside dans ces éléments. C’est de là qu’est née la théorie de l’énonciation, il s’agit de l’étude et de l’analyse de toutes les marques de subjectivité. Tout ce qui indique la présence du sujet parlant dans son discours, allant des pronoms personnels, des démonstratifs, etc. Car engendrés par une énonciation, ils désignent à chaque fois à « neuf », « ils ont en commun ce trait de se définir seulement par rapport à l’instance de discours où ils sont produits » (Benveniste 1966 :262). 

 

B) L’énonciation chez Maingueneau

   Maingueneau considère tout acte d’énonciation comme un événement unique qui s’établit entre un énonciateur et un destinataire particulier dans une situation particulière. Il la renvoie au domaine de la parole (acte individuel) par opposition à la langue (système). Cependant, il opère « une distinction entre chaque énonciation individuelle et le phénomène, le schéma général de l’énonciation, invariant à travers la multiplicité des actes d’énonciation. » (Maingueneau 1981 :6).

   C’est la description du fonctionnement de ces paramètres qui est l’objet de l’énonciation. Il s’agit de savoir comment le système qu’est la langue est transformé par l’individu en discours. A partir de là, le langage n’est plus un instrument ″neutre″ mais une activité qui permet au locuteur de se situer par rapport à son allocutaire, au monde, à son énoncé et à celui des autres. « Ainsi le langage n’est pas un simple intermédiaire s’effaçant devant les choses qu’il ″représente″ : il y a non seulement ce qui est dit mais  le fait de le dire, l’énonciation, qui se réfléchit dans la structure de l’énoncé » (Ibid. 8).

   En précisant la distinction entre énoncé/énonciation, Orecchioni introduit deux perspectives qui relèvent de la « spécialisation » (réduction d’extension) pour parler de linguistique de l’énonciation « restreinte » ou « étendue » selon que l’approche adoptée admet ou non la restriction du parcours communicationnel.

- Dans le cadre d’une énonciation « étendue », la linguistique aura pour but la description des relations qui s’établissent entre les différents éléments constitutifs du cadre énonciatif et l’énoncé. Autrement dit, l’analyse s’intéressera aux partenaires de l’échange ainsi qu’à la situation de communication qui englobe les éléments spatio – temporels, le contexte sociohistorique, la nature du canal, etc.  

   D’un point de vue restrictif, la linguistique de l’énonciation ne s’intéresse qu’à l’un des éléments constitutifs du cadre énonciatif : le locuteur. Ainsi, il s’agit de repérer les marques linguistiques de la présence du locuteur dans son énoncé, ce que Benveniste présente sous l’expression de « la subjectivité dans le langage », elle le nomme « subjectivème ».

C) L’énonciation chez Orecchioni.

   Pour Orecchioni, la problématique de l’énonciation se définit dans la « recherche des procédés linguistiques (Shifters, modalisateurs, termes évaluatifs, etc.) par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé (implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui (problème de ″la distance énonciative″) » (1999 :36). 

   Orecchioni propose de complexifier le schéma de communication de Jackobson par un enrichissement du cadre énonciatif. Elle prend en compte, en plus des six éléments fondamentaux de la communication, d’autres paramètres en relation avec l’opération d’encodage/ décodage, les compétences linguistiques et culturelles des partenaires de l’échange ainsi que les contraintes de la situation de communication du discours :

  Orecchioni propose de regrouper sous l’appellation d’« univers du discours »; et à côté de la compétence linguistique, elle introduit aussi la compétence psychologique et psychanalytique, ainsi que la compétence culturelle et idéologique, qui fait référence d’un côté à l’ensemble des savoirs que le sujet (émetteur ou récepteur) possède sur le monde et d’un autre côté au système d’interprétation et d’évaluation de l’univers référentiel.

Il s’agit donc de repérer des marques qui seront pour nous des indices (implicites ou explicites) de l’inscription de l’énonciateur dans son énoncé, de sa position par rapport à son interlocuteur et par rapport à l’objet de son discours. 

 

 

 

 

 

 

 

COURS.4. Les différents indices linguistiques de la subjectivité.

   La problématique de l’énonciation est reliée à celle de « la subjectivité dans le langage ». Elle met l’accent essentiellement sur la présence de l’homme dans la langue par l’étude des différentes unités linguistiques qui sont des « indices spécifiques » à travers lesquelles le locuteur énonce sa position  (par rapport au monde et par rapport à l’autre). 

   Le mot déictique désigne un type de référence où le référent est identifié à travers l’énonciation. Celui d’embrayeur, qui est la traduction française de « shifter » correspond beaucoup plus aux classes d’unités qui manifestent la « réflexivité fondamentale de l’activité linguistique » (Charaudeau et Maingueneau 2002 :212)

Ducrot les considère comme des termes à contenu procédural car, par opposition aux termes à contenu conceptuel, ils ne désignent pas des objets mais expliquent la façon avec laquelle les phrases sont utilisées dans la communication :

Ducrot constate que certains mots renvoient à des entités du monde, ou aux événements et aux actions dans lesquelles ces entités sont impliquées. […] : Ils sont appelés termes à contenu conceptuel. 

En revanche, certains autres mots ne désignent pas des objets, des propriétés ou des actions du monde, mais livrent des instructions sur la façon d’utiliser les phrases dans la communication. Il s’agit essentiellement de pronoms personnels (je, tu,…) de certains verbes (les performatifs d’Austin) et des conjonctions, adverbes, etc. Ces mots sont des termes à contenu procédural.  

 3.1. Embrayeurs et/ou déictiques 

   Dans les différents travaux dans le champ de la linguistique énonciative, l’emploi des termes déictique et embrayeur n’est pas très net, étant parfois accepté comme des synonymes (Orecchioni 1999) et dans d’autres cas distingués, les déictiques sont alors considérés comme un sous ensemble des embrayeurs (Maingueneau 1981).

 

  Dans les deux cas, il est important de prendre en considération certains paramètres constitutifs de la situation d’énonciation. Ce que font les deux partenaires de l’échange c’est désigner les objets ou les personnes qui constituent la réalité extralinguistique, c’est ce que Jakobson appelle « fonction référentielle ». Il s’agit en effet du « processus de mise en relation de l’énoncé au référent, c’est – à - dire l’ensemble des mécanismes qui font correspondre à certaines unités linguistiques certains éléments de la réalité extralinguistique » (Orecchioni 1999 : 40). Ce processus se réalise aussi bien pendant l’opération d’encodage que pendant celle de décodage durant lesquelles les sujets utilisent des références déictiques.

   De là nous avons plusieurs définitions des déictiques qui s’appuient sur la notion de référence. Orecchioni propose la définition suivante :

 Ce sont les unités linguistiques dont le fonctionnement implique une prise en considération de certains des éléments constitutifs de la situation de communication, à savoir :

  • Le rôle que tiennent dans l’énonciation les actants de l’énoncé ;
  • La situation spatio-temporelle du locuteur et éventuellement de l’allocutaire.  

   Pour Maingueneau, les déictiques renvoient uniquement aux indices spatio- temporels.    Dans les travaux actuels, la plupart des linguistes ne font pas la distinction entre déictiques et embrayeurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

1-     BENVENISTE, Émile. (1974). Problèmes de linguistique générale, 2. Paris : Gallimard.

2-     CHARAUDEAU, Patrick & MAINGUENEAU, D. (2002). Dictionnaire d’analyse du discours. Paris. Seuil.

3-     DUCROT, Oswald. (1980.b). Les mots du discours. Paris : Les éditions de Minuit

4-     KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine. (1999). L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage. Quatrième Edition. Paris : Armand Colin.

5-     MAINGUENEAU, Dominique. (1981). Approche de l’énonciation en linguistique française. Paris : Hachette.

6-     KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine. (1999). L’Énonciation. De la subjectivité dans le langage. Quatrième Edition. Paris: Armand Colin.

7-     Charaudeau et Maingueneau 2002 :212