La psychologie cognitive COURS DE PSYCHOLOGIE COGNITIVE 3ème année Licence lettres et langue française La psychologie cognitive, dans un sens large, est l’étude scientifique de la cognition. L’étude des mécanismes de la perception, la mémoire, l’intelligence, la conscience, etc. en fait partie. Dans un sens plus étroit, elle désigne une approche de l’esprit humain centrée sur le traitement de l’information et l’étude des états mentaux. C’est-à-dire qu’on envisage la mémoire ou le raisonnement comme un processus actif, impliquant des modules spécialisés, chargés de sélectionner, d’organiser, mettre en forme et produire des informations. • La psychologie cognitive est née au début des années 1960. Jusque-là, les chercheurs s’intéressaient plus aux comportements qu’aux états mentaux internes. Par exemple, l’étude de l’intelligence consistait à mesurer ses performances (QI) et ses types (intelligence générale ou spécialisée) en laissant dans l’ombre les stratégies mentales sous-jacentes. Puis quelques chercheurs, comme Jerome Bruner, ont proposé d’étudier les stratégies mobilisées par les sujets pour résoudre des problèmes. Par exemple : quel plan d’action adopte un joueur d’échecs durant une partie ? À cette époque, le modèle du « cerveau ordinateur » s’impose. On considère alors l’esprit humain comme un dispositif de « traitement de l’information ». On cherche à comprendre comment notre cerveau s’y prend pour absorber, transformer et produire des informations. • Aujourd’hui, la psychologie cognitive s’est élargie à l’étude des émotions, de l’action et des représentations sociales et troubles mentaux. Autant dire que le terme « psychologie cognitive » tend à s’identifier à la psychologie scientifique en général. La psychologie cognitive est l’une des disciplines phares des « sciences cognitives », une constellation disciplinaire qui - avec les neurosciences, l’intelligence artificielle, la linguistique, la philosophie de l’esprit et quelques autres domaines - se consacre au fonctionnement de la pensée sous toutes ses formes : celle des humains, des animaux ou des machines. TABLE DES MATIERES Objectifs du cours Chapitre 1 1. Qu’est ce que la psychologie générale ? 6 1.1 Naissance et évolution 7 1.2 Méthodes d’étude 7 1.3 Champs d’application 9 1.2 Courants théoriques 10 Chapitre 1 Bis 2. Quels liens entre psychologie et littérature ? 14 2.1 Approche psychologique du processus créateur (en littérature) 15 2.2 Approche psychologique du texte littéraire 15 Chapitre 2 3. Qu’est ce que la psychologie cognitive ? 17 3.1 Le traitement de l’information 19 3.1.1 L’attention 20 3.1.2 La perception 21 3.1.3 Les représentations sociales 23 Chapitre 2 Bis 4. Quels liens entre psychologie et sociolinguistique ? 26 4.1 Le langage comme outil d’élaboration des représentations sociales 26 4.2 Le langage comme objet des représentations sociales 26 Chapitre 3 3. Qu’est ce que la psychologie cognitive ? (suite) 4.2.1 La mémoire 29 4.2.2 L’organisation des connaissances 33 Chapitre 3 bis 5. Quels liens entre psychologie et pédagogie (didactique) ? 36 5.1 Apports de la psychologie cognitive à l’enseignement-apprentissage 36 Références bibliographiques 39 Note aux étudiants Le présent document contient les points clés abordés dans ce module, le détail des concepts, les argumentations et les exemples illustratifs sont présentés oralement lors du cours. OBJECTIFS DU COURS CHAPITRE 1 Chapitre 1 1. Qu’est ce que la psychologie générale ? 6 1.1 Naissance et évolution 7 1.2 Méthodes d’étude 7 1.3 Champs d’application 9 1.2 Courants théoriques 10 1. Qu’est ce que la psychologie générale ? Afin de répondre à cette question, nous allons voir dans ce chapitre, comment est née la psychologie et comment elle a évolué avec le temps, nous allons voir également ses méthodes d’étude et ses divers champs d’application, enfin nous verrons les différents courants théoriques qui ont fait et qui font encore cette discipline. 1.1 Naissance et évolution Le mot « psychologie » vient des mots grecs « Psukhê » qui veut dire âme et « Logos » qui veut dire science. Pris littéralement cela veut dire la science de l’âme. La psychologie a longtemps été confondue avec la philosophie, et le mot âme était alors utilisé pour désigner différentes réalités (vie psychique, spiritualité…etc.) Ce n’est qu’à partir du XIXème siècle qu’elle s’est constituée en science autonome. Depuis, elle a beaucoup évolué. Elle est passée des discussions philosophiques à l’expérience scientifique. Aujourd’hui on définit la psychologie comme l’étude scientifique du comportement humain et des processus mentaux qui le sous-tendent. Comportement Ensemble des actions et réactions objectivement observables Processus mentaux Perception Mémoire Apprentissage Langage Raisonnement Émotions…etc. La compréhension de l’esprit humain a été la préoccupation de nombreux philosophes et scientifiques, et même si les méthodes et les croyances ont divergé depuis Platon à Donald Hebb, en passant par Freud et Pavlov. Tous ont contribué à une meilleure connaissance de la psychologie humaine. Voici une liste non exhaustive des auteurs qui ont participé au développement de la psychologie : • Platon (428-348 av. J.C.) questions sur les origines et les mécanismes de la pensée : idées innées. • Aristote (384-322 av. J.C.)livre « de l’âme » : idées acquises • Christian Wolff (1679-1754) premier à diviser la psychologie en deux composantes : la psychologie empirique (expérimentale) et la psychologie rationnelle (spéculative). • Wilhelm Wundt (1832-1920) premier laboratoire entièrement consacré à la recherche psychologique expérimentale, université de Leipzig en Allemagne, 1879. • Ivan Pavlov (1849-1936) travaux sur le conditionnement qui vont être à l’origine d’un courant qui s’est longtemps imposé dans l’univers de la psychologie scientifique : le behaviorisme ou le comportementalisme. • Hermann Ebbinghaus (1850-1909) applique le premier une méthode expérimentale dans l’étude de la mémoire. • Sigmund Freud (1856-1939) crée la psychanalyse, découvre l’inconscient. • Alfred Binet (1857-1911) s’intéresse à la mesure de l’intelligence au Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne à paris • Donald Hebb (1904-1985) premier à avancer l'idée selon laquelle deux neurones en activité au même moment créent ou renforcent leur connexion de sorte que l'activation de l'un par l'autre sera plus facile à l'avenir et à fournir un substrat matériel crédible aux phénomènes d’apprentissage. Ainsi, la psychologie a connu de nombreuses transformations au fil du temps, passant de l’étude de l’âme avec une orientation philosophique, à l’étude du psychisme et de l’inconscient, avec une orientation psychanalytique, pour ensuite devenir l’étude scientifique du comportement humain et des processus mentaux, avec une orientation scientifique. Aujourd’hui, en psychologie on parle également de cerveau, avec l’apport des neurosciences (neuro-psychologie). 1.2 Méthodes d’étude Pour atteindre ses objectifs, la psychologie fait appel à différentes méthodes d’étude : Observations L’observation est une méthode de recueil des données basée essentiellement sur l’observation visuelle et l’écoute. L’observateur n’intervient pas, il attend que les phénomènes se produisent pour les observer. L’observateur peut utiliser divers outils dans son travail d’observation : (le carnet de note, le magnétophone, la grille d’observation, la caméra…etc.) Exemple: étude du développement de l’enfant par Jean Piaget Études de cas Il s’agit d’une démarche qualitative, qui vise l’étude approfondie d’un cas, la plupart du temps à travers des entretiens. Exemple: étude de la vie psychique par Freud. Expérimentations Contrairement à l’observation, ici le chercheur provoque les phénomènes, oU Crée les conditions de leur production. La démarche expérimentale est la seule qui permet de mettre en évidence les liens causaux entre les éléments étudiés. La méthode expérimentale est une démarche scientifique qui consiste à contrôler la validité d’une hypothèse au moyen d’épreuves répétées, au cours desquelles on modifie un à un les paramètres de situation afin d’observer les effets induits par ces changements Elle se caractérise par une suite de vérifications in situ dont les conditions sont fixées par un protocole qui peut être repris à l’identique par tout nouvel expérimentateur (Grelley, 2012) Exemple: expériences menées par Anne Boring, Kellie Ottoboni et Philip B. Stark pour étudier les préjugés hommes/femmes. Enquêtes Il s’agit d’un travail de terrain que le chercheur effectue en étant menu des outils de recherche, en général, un questionnaire. 1.3 Champs d’application Dès le début du XXème siècle, la psychologie a commencé à se spécialiser en sous- disciplines et en domaine d’application Exemple d’une spécialité ou sous discipline de la psychologie : la psychologie de l’enfant Domaine d’application : Education Dans le schéma ci-dessous sont représentés les champs d’application de la psychologie et les spécialités correspondantes. Santé mentale Politique Santé physique Société psychologie Education Travail Economie 1.2 Courants théoriques Les cinquante premières années de la psychologie du XXe siècle ont été largement dominées par deux courants diamétralement opposés ; D’un côté, le comportementalisme ; De l’autre, la psychanalyse. Après la Seconde Guerre mondiale, une première réaction va émerger et se développer. En effet, plusieurs psychologues en arrivent à considérer ces deux approches comme réductionnistes, car elles affirment que l’être humain est essentiellement le jouet des pressions de l’environnement (behaviorisme) ou de ses pulsions internes (psychanalyse). Cette insatisfaction des réponses apportées par les courants jusque là dominants va donner naissance à deux autres courants ; le courant humaniste et le courant cognitiviste. Le courant comportementaliste : Les behavioristes estiment que même si le psychisme existe, il n’est pas possible d’y accéder, et que seul le comportement peut être observé. Pour eux, la psychologie est une science à condition qu’elle se limite à l’étude de ce qui est observable, c'est-à-dire le comportement. Les behavioristes considèrent que l’esprit humain est comme une page blanche à la naissance et que ce sont les multiples expériences de la vie qui lui fournissent les matériaux nécessaires à sa construction. Le « conditionnement classique » de Pavlov : Le physiologiste russe Ivan Pavlov (1849-1936) étudie le réflexe de salivation chez les chiens. Normalement, le réflexe se déclenche lorsque la nourriture entre en contact avec les papilles gustatives (réflexe inné, inconditionné) . Mais Pavlov remarque que les chiens, habitués à l’employé chargé de les nourrir, salivent dès que celui-ci apparaît (réflexe acquis, conditionné). Pour étudier ceci de façon systématique, il crée un dispositif expérimental très simple : une sonnerie retentit avant chaque distribution de nourriture. Après plusieurs séquences de ce type, la salivation se déclenche après la sonnerie. Cette découverte vaut à Pavlov le prix Nobel de médecine en 1904. Le « conditionnement opérant » de Skinner : pour Burrhus F. Skinner (1904-1990) l’environnement a un impact sur l’organisme non seulement avant mais également après la réaction de cet organisme. Le comportement est façonné et maintenu par ses conséquences. Le renforcement joue ici un rôle central. Il peut s’agir soit d’un renforcement positif (récompense), que l’individu cherche à reproduire, soit d’un renforcement négatif (punition), que l’individu cherche à éviter. Le dispositif expérimental le plus connu à cet égard est la « boîte de Skinner ». Un animal est placé dans une cage oU SE trouvent une mangeoire et une boîte dans laquelle apparaissent des signaux. Si, lorsqu’apparaît le bon signal, l’animal pique par hasard la boîte à signaux, la mangeoire se remplit. Après plusieurs situations identiques, l’animal apprend qu’il peut obtenir de la nourriture en piquant la boîte après l’apparition du bon signal. Les résultats de ces recherches ont particulièrement influencé l’enseignement et l’éducation. Skinner constatait avec regret que l’enseignement soit essentiellement aversif, il préconisait le fait de récompenser l’enfant de ses bonnes actions plutôt que de le punir pour ses mauvaises. Il a proposé diverses stratégies comme le fait d’augmenter l’usage de renforcements positifs, ou encore de modifier l’environnement de telle façon que la punition ait moins de probabilité de survenir. Selon Skinner, « il devrait être possible de construire un monde dans lequel tout comportement qui risque d’être puni n’apparaîtrait que rarement ou jamais ». Le courant psychanalytique : Selon ce courant l’essentiel de notre existence est dominé par nos processus psychiques inconscients, qui agissent à notre insu, et c’est l’accès aux conflits inconscients, puis leur résolution, par le biais de séances de psychanalyse, qui permet à l’individu d’accéder à une vie psychologiquement satisfaisante. L’appareil psychique : Pour expliquer le fonctionnement du psychisme selon la conception psychanalytique, six éléments de l’appareil psychique sont à définir (Ça – Moi – Surmoi - Inconscient- préconscient- conscient) : • Ça : C‘est le réservoir pulsionnel, il est guidé par le principe de plaisir • Moi : C’est la partie la plus consciente de la personnalité, elle est soumise au principe de réalité, elle est chargé de trouver l’équilibre psychique en gérant les forces contradictoires du ça et du surmoi. • Surmoi : Correspond à l’intériorisation des interdits parentaux et sociaux, et toutes les forces répressives que l’individu rencontre au cours de son développement. Ça Moi Surmoi Pulsions Médiateur Interdits Ces trois instances interagissent comme des personnes. Le moi est le stratège qui a pour mission de trouver des issues aux contradictions, aux rapports de force entre les pulsions du ça et les interdits intériorisés en surmoi afin de garantir l’équilibre psychique, pour cela, il recours à différents mécanismes de défenses, parmi ceux la, on trouve notamment le refoulement qui consiste à rejeter dans l’inconscient les représentations inacceptables. • Inconscient (Ics): il est constitué des contenus refoulés (par le moi), et qui oppose une résistance à leur apparition consciente • Préconscient (Pcs): il est constitué des éléments les plus susceptibles de remonter à la conscience • Conscient (Cs): il est constitué de tous les éléments présents à la conscience Le courant humaniste : Ce courant marque le passage d’une forte centration sur le manque et la pathologie vers une prise en compte plus large des aptitudes et de l’accomplissement personnel. Le principe fondamental de l’approche humaniste c’est que le comportement de la personne est considéré comme le résultat de la façon dont elle se perçoit et dont elle perçoit le monde et ses événements. L’important n’est donc pas l’objet (ou l’évènement), mais plutôt la façon dont il est perçu, compris, interprété par la personne. C’est pourquoi les thérapies qu’ils proposent se basent sur la redécouverte du soi en tant que processus psychologique qui gouverne notre comportement. Ses représentants dont Carl Rogers se sont efforcé de repérer et d’étudier les fonctionnements psychologiques qui relèvent de la bonne santé mentale, et non pas de la psychopathologie. Le courant cognitiviste : S’affranchissant des réductions du béhaviorisme, les cognitivistes prennent en compte toute la richesse et la complexité du fonctionnement mental de l’être humain, ils étudient les fonctions cognitives comme la perception, la mémoire, les émotions….etc. Cette approche constitue aujourd’hui le courant dominant de la psychologie scientifique. (Ce courant est abordé avec détail aux chapitres 2 et 3) Chapitre 1 Bis CHAPITRE 1 Bis 2. Quels liens entre psychologie et littérature ? 14 2.1 Approche psychologique du processus créateur (en littérature) 15 2.2 Approche psychologique du texte littéraire 15 2. Quels liens entre psychologie et littérature ? Dans le schéma ci-dessous sont représentés les trois axes oU psychologie et littérature se croisent, avec quelques exemples de questions que pose la littérature et auxquelles la psychologie tente de répondre : Auteur •Approche psychologique de l'auteur Oeuvre •Approche psychologique du texte littéraire Lecteur •Approche psychologique du lecteur Ainsi, l’approche psychologique ne se préoccupe pas de la valeur artistique d’une œuvre mais cherche plutôt à apporter un éclairage supplémentaire pour la compréhension de la chose littéraire. Il existe plusieurs façons de procéder au travail d’analyse des textes littéraires, dans le présent cours il ne sera pas question des différentes méthodes qui existent, (pour cela voir cours ETL – Etude des Textes Littéraires). Ceci dit, des travaux issus de l’approche psychanalytique sont largement évoqués. 2.1 Approche psychologique du processus créateur (en littérature) Dans l’approche psychologique, le processus créateur, que ce soit en littérature ou dans le domaine des arts n’est pas appréhendé en termes de dons, de capacités ou de talents, mais en termes de projection, de sublimation, de clivage, de répétition, c'est-à- dire en termes de travail psychique. Nous sommes bien là au cœur de la fabrique littéraire, ce pourquoi, plus que de création, c’est de production ou encore de travail qu’il conviendrait de parler, c’est-à-dire de transformation, un travail au cours duquel les représentations, images, mots ou pensées qui surgissent et se succèdent sur un mode apparemment anarchique se voient brassés, transformés, sélectionnés, triés, organisés et ciselés, pour aboutir à un texte empreint du déterminisme psychique dont il est issu (Kamieniak, 2011) Ainsi le processus de création comporterait d’une part un travail sur soi/contre soi et d’autre part un travail littéraire purement esthétique, et c’est par l’aboutissement de ces efforts que l’œuvre prend forme. Concernant l’écriture, elle est souvent considérée par les analystes qui se sont intéressé à la littérature comme une activité qui vient au secours de l’appareil psychique. En effet selon Cadoux « l’écriture viendrait suppléer à la défaillance de l’appareil psychique en “donnant un lieu“ à certains éléments traumatiques qu’il ne peut élaborer en son sein. L’écriture fournirait une inscription externe à ce qui ne s’est pas inscrit à l’intérieur.» (2013, p. 34). Ce qui a beaucoup participé à la compréhension du travail artistique en général et du travail littéraire en particulier, ce sont les nombreux témoignages des écrivains, qui, ont donné a voir comment le travail d’écriture est vécu, avant, pendant et après. Certains auteurs sont ainsi devenus mythiques, comme Kafka. 2.2 Approche psychologique du texte littéraire Faire une analyse psychologique d’un texte littéraire consiste en quelque sorte à lire ce qui n’est pas écrit, c'est-à-dire à chercher dans l’œuvre des indices qui nous permettent de révéler les intentions inconscientes de son auteur. Parce que dans cette approche on considère que l’œuvre a une fonction psychologique, et c’est justement l’analyse qui nous permet de la découvrir. L'œuvre littéraire naît de la vie intérieure de l’homme qui 1'a écrite, en plus elle naît de la vie intérieure de la société, de son époque, par conséquent, l’œuvre est un signe, elle a la valeur de symptôme, c'est pour cela que la fonction du critique est de discerner ces signes, ces symptômes dans 1'œuvre qu'il lit. Freud considère les mythes, les contes et la littérature ou plus globalement l’art, comme des productions psychiques qui s’expliquent comme les rêves ou encore comme les symptômes, ce sont des conséquences de formations de compromis, c'est-à-dire, des productions qui satisfont à la fois le désir et la défense. (Voir chapitre 1). L’œuvre est ainsi le résultat d’un ensemble d’incitations et de résistances que la démarche interprétative permet de mettre à jour. Faire une critique analytique d’un texte consisterait à la fois, à en déchiffrer les énigmes et à montrer leur parenté et d’introduire du même coup une continuité là oU apparemment il y aurait rupture : continuité entre le roman et la biographie, l’auteur et le personnage, le conscient et l’inconscient, le normal et le pathologique, l’enfant et l’adulte, le civilisé et le primitif (Kamieniak, 68). Selon Sarah Kofman. Il n’y a pas de texte préalable mais un seul texte qui est à lui-même sa propre clé, et ce que peut faire l’analyste, c’est de montrer qu’il y a entre les éléments du texte des rapports différents de ceux que suggère son contenu manifeste, des rapports qui dénotent justement un certain « travail » de l’inconscient. Et c’est en faisant « travailler » le signifiant que le critique explique et déplie ce qu’il recèle, c’est-à-dire exhibe et dissimule d’un même mouvement. ( Kamieniak, 71). Chapitre 2 CHAPITRE 2 3. Qu’est ce que la psychologie cognitive ? 17 3.1 Le traitement de l’information 19 3.1.1 L’attention 20 3.1.2 La perception 21 3.1.3 Les représentations sociales 23 3. Qu’est ce que la psychologie cognitive ? Il est difficile de préciser avec exactitude les origines du cognitivisme sans restreindre les influences et contributions diverses ayant concouru à sa genèse. Même s’il est commun de situer son émergence au milieu du XXème siècle concomitamment au développement de l’informatique. L’ordinateur va servir de modèle pour représenter les processus mentaux, et les concepts de base vont être empruntés à l’informatique (Concepts d’encodage, de stockage, input et output, de mémoire…etc.), mais le caractère non logique du comportement humain mets une limite à cette métaphore. Plus tard, la psychologie cognitive sera davantage influencée par la biologie, et prendra en compte les connaissances relatives au fonctionnement cérébral. Le cognitivisme a remis en cause les principes béhavioristes qui éliminaient les phénomènes mentaux du champ d’étude de la psychologie pour ne considérer que le comportement : Stimulus-Réponse (S-R), et a rétabli l’activité mentale de l’individu au centre des préoccupations, en cherchant à comprendre comment il transforme l’information entre le stimulus et la réponse. Stimulus-Traitement-Réponse (S-T-R) La psychologie cognitive est définie par J. Tardif comme une discipline qui cherche fondamentalement à expliquer comment les êtres « perçoivent, comment ils dirigent leur attention, comment ils gèrent leurs interactions avec l’environnement, comment ils apprennent, comment ils comprennent, comment ils parviennent à réutiliser l’information qu’ils ont intégrée en mémoire, comment ils transfèrent leurs connaissances d’une situation à une autre » (1992, p. 28) Le but de la psychologie cognitive est ainsi de comprendre l'acquisition, l'organisation et l'utilisation des informations. Ces définitions permettent de découvrir les orientations de la psychologie cognitive : • D’abord la référence à l’input sensoriel qui implique que la cognition commence à partir de notre contact avec le monde extérieur ; • Puis, en ce qui concerne la transformation de l’input sensoriel, il s’agit là d’un principe fondamental selon lequel on n’enregistre pas de manière passive les informations de notre environnement, au contraire, on les construit activement, c’est-à-dire que nous ne sommes pas les témoins de la réalité dans laquelle nous évoluons mais bien des acteurs qui subissent son influence autant qu’ils participent à sa construction (d’oU l’importance de la notion de représentation); • Aussi, les termes de stockage et rappel évoquent un concept très important, celui de mémoire. La distinction entre les deux indique que le stockage de l’information ne garantit pas son rappel. La psychologie cognitive est une psychologie scientifique et expérimentale, elle s’appuie très peu sur l’introspection consciente, mais conçoit plutôt des expérimentations qui permettent de mettre en évidence des indicateurs objectifs concernant le traitement de l’information. 2.1 LE TRAITEMENT DE L’INFORMATION Les humains: captent de l'information traitent de l'information modifient cette information Concept central du cognitivisme, le traitement de l’information (information processing) fait référence à l’ensemble des opérations mentales qui suivent l’input sensoriel et précèdent l’output. Dans la figure qui suit (synthèses de différents modèles), les étapes de ce traitement sont organisées et présentées dans un ordre chronologique, c’est-à-dire depuis la perception du stimulus jusqu’à l’émission d’une réponse. Il faut noter, c’est que ces étapes ne vont pas dans un seul sens, puisqu’elles s’influencent réciproquement (flèches bidirectionnelles). Input Output Figure : Les étapes du traitement de l’information. 2.1.1 L’ATTENTION L’attention est la capacité de maintenir son activité, c'est-à-dire de mobiliser ses ressources cognitives sur une tâche donnée pendant une assez longue durée. Ce qui entraîne un accroissement d'efficacité du traitement de l’information (processus de perception, de mémorisation, de prise de décision…) Deux aspects caractérisent l’attention ; la sélectivité et la concentration • La sélectivité : l’individu reçoit en permanence un nombre incalculable de stimuli de toutes sortes, et il lui faut décider lequel d’entre eux est pertinent à considérer. La sélection est nécessaire pour éviter une surcharge d’informations. Surcharge informationnelle de l’environnement et limites du système perceptuel • La concentration : est l’effort mental investi dans une ou plusieurs tâches. Evidemment certaines tâches demandent plus de concentration que d’autres. Les différents types d’attention : L'attention sélective ou focalisée : elle permet de trier les informations disponibles dans le but de ne traiter que celles qui sont pertinentes pour l'activité en cours, en inhibant la réponse aux autres stimuli présentés. Elle est la capacité de résister à la distraction, d'opérer un classement de l'information et de discriminer les éléments qui sont importants pour la tâche à accomplir. L'attention soutenue : lorsque l'attention sélective doit être maintenue pendant une longue période, elle est dite soutenue. C'est la capacité de se concentrer sur une activité pendant une longue période pour atteindre un objectif. La fréquence et la qualité de l'attention focalisée augmente avec l'âge. La durée de l'attention se prolonge en fonction de l'âge et de la capacité du sujet à mettre en place des stratégies de plus en plus élaborées. L'attention divisée ou partagée: le sujet doit effectuer deux tâches distinctes ou traiter deux types de stimuli différents en même temps. Les ressources attentionnelles peuvent d'autant plus se diviser que l'une des deux tâches requises a déjà fait l'objet d'un apprentissage antérieur et qu'elle s'est automatisée. La quantité d’efforts mentaux à fournir varie considérablement d’une tâche à l’autre. Certaines aptitudes en devenant routinières ne nécessitent qu’une quantité minimale de ressources de l’attention. On parle alors de traitement automatique. Posner et Snyder en 1975 ont proposé trois critères permettant de déterminer si une aptitude est automatique ou pas : 1) elle se produit sans intention 2) elle ne donne pas naissance à une attention consciente 3) elle n’interfère pas avec une autre activité mentale. Le fait d’automatiser certaines tâches permet de libérer les ressources attentionnelles vers d’autres tâches, d’oU la possibilité de produire différentes actions en même temps. L’individu dispose de ressources attentionnels limitées, et il a un contrôle considérable sur la façon dont ces ressources peuvent être investies dans différentes activités. L’auto régulation attentionnelle est la capacité d’orienter et de déplacer son attention, de manière volontaire, indépendamment des stimuli, elle implique une capacité à partager ses ressources attentionnelles et les répartir selon un ordre de priorité. Cette autorégulation ou cet autocontrôle peut se développer, notamment avec la mise en place de stratégies. 2.1.2 LA PERCEPTION La perception peut être définie comme le processus de réception et d’interprétation des stimuli sensoriels. C’est l’ensemble des mécanismes physiologiques et psychologiques dont la fonction est la prise d’information dans l’environnement ou dans l’organisme lui-même et son traitement (Lieury, 2008). Il s’agit donc d’un processus de recueil de données effectué par les organes sensoriels, mais ceux-ci n’étant que des voies d’accès aux informations environnementales, c’est l’interprétation de ces données qui fait la perception. C’est-à- dire que les informations visuelles, tactiles, auditives ou olfactives n’ont pas de sens en elles-mêmes, leur signification est issue des connaissances et des expériences antérieures de celui qui les perçoit. Toute perception est une interprétation qui implique la personnalité toute entière. Plus qu’un simple phénomène sensoriel, c’est une conduite psychologique complexe qui se rapporte à un cadre de référence, élaboré à partir de notre expérience personnelle et sociale. C’est ce qui implique qu’un objet n’aura jamais tout à fait la même signification pour deux individus, qui ont chacun son système de référence. On distingue entre trois niveaux de traitement dans le processus de perception : • Le niveau sensoriel qui concerne la réception des données environnementales ; • Le niveau perceptif qui concerne l’organisation des données sensorielles ; • Le niveau cognitif qui concerne l’interprétation des données perceptives. Ce dernier niveau de traitement correspond à la représentation mentale. Perception et état physique : De nombreuses études ont démontré que notre état physique influence notre perception de la réalité. Par exemple la perception des pentes et des distances est différente selon que le percepteur porte un sac à dos lourd ou pas (Proffitt, Stefanucci, Banton et Epstein, 2003), est jeune ou agé (Bhalla & Proffitt, 1999), est fatigué ou en forme (Proffitt, Bhalla, Gossweiler, & Midgett, 1995), et s’il a des objectifs d’action en tête (Witt, Proffitt, & Epstein, 2004) Les individus perçoivent le monde physique qui les entoure en fonction de la manière dont ils agiraient dans ce monde. Perceptions, émotions et réalité1 : Riener, Stefanucci, Proffitt et Clore (2003) ont testé l'influence de l'humeur sur la perception d’une pente. L’humeur était induite par l’écoute par les participants d’une musique joyeuse ou d’une musique triste, ou en demandant aux participants d'écrire sur un heureux ou un malheureux événement de leur vie, ensuite, les participants ont été invités à estimer l’inclinaison d’une pente. Les participants ayant écouté la musique triste ou ayant relaté un événement triste le leur vie ont jugé la colline plus raide que les autres. Perception et attentes: Nos attentes impactent souvent notre perception des choses Exemple de l’effet placebo Perception et niveau de conscience : De nombreuses études ont pu démontrer qu’il peut y avoir perception sans conscience, c'est-à-dire que la perception peut opérer inconsciemment. Ainsi on peut percevoir une information, la traiter et en être influencé sans en prendre conscience. 1 Schnall, S. (2011). Embodiment in Affective Space: Social Influences on Spatial Perception. https://www.repository.cam.ac.uk/handle/1810/254158 2 Voir sur Youtube: How your bodily state affects your perception: Simone Schnall at TEDxOxbridge. 2.1.3 LES REPRESENTATIONS Pour J.M Hoc (1987), une représentation c’est « la possibilité qu’a un système cognitif de disposer des caractéristiques d’un objet en son absence ». La notion de représentation traduit cette aptitude de l’esprit à rendre présent ce qui ne l’est pas, elle renvoie au réfèrent interne d’un objet extérieur. C’est-à-dire à l’image que l’on se fait ou l’idée que l’on a d’un objet ou d’un concept. Ces définitions ont pour commun de contester la césure sujet-objet, et d’obéir au postulat selon lequel la réalité objective n’existe pas. Comme le précise Abric (1994) « Un objet n’existe pas en lui-même, il existe pour un individu ou un groupe et par rapport à eux ». (p.69, cité par, Mannoni, p.69). Ainsi toute réalité est représentée, c'est-à-dire « appropriée par l’individu ou le groupe, reconstruite dans son système cognitif, intégrée à son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social qui l’environne, et c’est cette réalité appropriée et restructurée qui constitue pour l’individu ou le groupe la réalité même ». « Les sujets n’abordent pas une situation de manière neutre et univoque » (Abric, 1989, p.195, cité par, Mannoni, 2008, p.70) mais la perçoivent selon leur système de pensées, leurs valeurs, et l’appréhendent selon les différents contextes personnels, sociaux, organisationnels et culturels qui les environnent. Ainsi, les représentations sont les données subjectives qui constituent l’univers mental des individus. Celles-ci ne sont jamais définitives, elles évoluent à mesure des expériences et des apprentissages, même si elles se rigidifient avec l’âge. Ce sont elles qui régissent la relation d’un être à son environnement et qui dirigent ses comportements et pratiques. Par exemple les comportements sociaux d’un individu dépendent de ses représentations de la citoyenneté, de la solidarité, de la communauté…etc. Deux composantes découlent de ces définitions des représentations sociales : une composante cognitive et une autre sociale, c’est pourquoi l’on parle de système sociocognitif ou de « constructions sociocognitives » (Abric, 1994), et c’est la coexistence de ces deux logiques qui peuvent être différentes, qui explique qu’une représentation sociale peut contenir des contradictions apparentes et intégrer à la fois du rationnel et de l’irrationnel (Abric, 1994). Caractéristiques objectives de l’objet Expériences antérieures du sujet Système d’attitudes, des valeurs et des normes de la société Fonction de savoir Comprendre et expliquer la réalité Fonction identitaire Définir et sauvegarder la spécificité des groupes Fonction d’orientation Guider les comportements et les pratiques Fonction justificatrice justifier les prises de position et les comportements Figure illustrant l’émergence d’une RS et ses différentes fonctions CHAPITRE 2 Bis Chapitre 2 Bis 4. Quels liens entre psychologie et sociolinguistique ? 26 4.1 Le langage comme outil d’élaboration des représentations sociales 26 4.2 Le langage comme objet des représentations sociales 26 4. Quels liens entre psychologie et sociolinguistique ? 4.1 Le langage comme outil d’élaboration des représentations sociales La notion de représentation sociale implique la mobilisation de la cognition, du langage, de la communication et du fonctionnement du système social, des groupes et des interactions. Une représentation sociale est donc collectivement produite grâce à un processus de communication collective. Ce processus ou ces communications collectives ne peuvent se faire sans le langage. Plus précisément elles se font grâce au langage et sont médiatisées par le langage qui inscrit les communications collectives d’un groupe social donné dans une culture spécifique, avec ses codes verbaux et non verbaux, ses normes, ses références et ses valeurs. En effet, les représentations se structurent et s’expriment par le langage, au travers d’un contenu discursif. C’est un système sociocognitif et contextualisé. Dans ce sens Herzlich précise que dans les relations entre représentation sociale et langage, il importe de souligner que « l’appréhension d’un objet social est inséparable de la formation d’un langage le concernant. » Si le langage occupe une place aussi déterminante dans les constructions sociocognitives, c’est parce que « La spécificité de l’activité cognitive humaine est non pas de s’exercer directement sur l’objet, mais d’être médiatisée par des outils sémiotiques (le langage en particulier) qui sont socioculturellement construits. » (Grossen, Liengm- Bessire et Perret-Clermont, 1997, p. 234). En effet, « le langage n’est pas seulement un instrument de communication, c’est aussi un ordre symbolique où les représentations, les valeurs et les pratiques sociales trouvent leur fondement. » (Ladmiral et Lipinsky, 1989). « En même temps que nous apprenons une langue, nous accédons à des points de vue ancrés dans cette langue. » (Clémence, 2003, p.394). Le langage, en général, et plus précisément la langue maternelle occupe une place centrale dans la transmission de notre héritage culturel avec notamment sa fonction de médiation qui permet à chacun d’entre nous de fonder « ses perceptions du monde au travers de sa culture et des croyances qu’elle véhicule et qui lui sont transmises par ses parents et la société dans laquelle il se développe » (Hamon , 2005, p.224). 4.2 Le langage comme objet des représentations sociales La langue, " comme tout fait de culture, est l’objet de multiples représentations et attitudes individuelles, collectives, positives ou négatives, au gré des besoins et des intérêts. Ces représentations qui trouvent leur origine dans le mythe ou la réalité du rapport de puissance symbolique, dictent les jugements et les discours, commandent les comportements et les actions ». Pour Desbois et Rapegno (1994 : 3-4). Autrement dit, c’est «L’ensemble des images que les locuteurs associent aux langues qu’ils pratiquent, qu’il s’agisse de valeur, d’esthétique, de sentiment normatif ou plus largement métalinguistique ». Sonia Branca-Rosoff (1996 : 79) Ce sont les travaux portant sur "ses représentations, ses images et attitudes" qui enrichissent le vaste domaine des représentations sociolinguistiques. Celles-ci sont intéressantes parce qu’elles permettent de mettre à jour les raisonnements qui fondent les opinions des individus et qui guident leur conduites, exemple : valorisation ou dévalorisation d’une langue, motivation ou démotivation dans l’apprentissage d’une langue…etc. Il existe de très nombreux travaux sur les représentations sociales des langues en Algérie, notamment sur les représentations de la langue Amazigh ; du dialecte algérien (Chachou, I. 2008) ; et de la langue française (Taleb-Ibrarimi, K. 1995). Chapitre 3 CHAPITRE 3 3. Qu’est ce que la psychologie cognitive ? (suite) 3.1.4 La mémoire 29 3.1.5 L’organisation des connaissances 33 2.1.4 LA MEMOIRE « Peu à peu, la mémoire m’est cependant revenue. Ou plutôt je suis revenu à elle, et j’y ai trouvé le souvenir qui m’attendait » (la chute, Camus) La mémoire a un rôle primordial. C’est l’unité centrale du traitement de l’information, elle permet l’apprentissage de nouveaux savoirs, et rend disponibles les connaissances du passé. Elle est définie comme la capacité à encoder, à stocker et à récupérer des informations que ce soit « partiellement ou totalement, de façon véridique ou erronée.» (Piaget, cité dans Raynal & Rieunier, 2007, p. 221). Aujourd’hui, les spécialistes ne considèrent plus la mémoire comme une seule entité, mais comme de multiples systèmes de mémoire ; ils distinguent entre la mémoire sensorielle à très court terme ; la mémoire de travail à court terme ; et la mémoire à long terme. 1. La mémoire sensorielle : appelée également registre d’information sensorielle, elle conserve très brièvement (quelques millisecondes) et fidèlement l’information qui lui parvient des sens, c’est une mémoire quasi photographique, elle correspond au temps de perception. La mémoire sensorielle est l’étape préalable au stockage dans la mémoire de travail. 2. La mémoire de travail : elle permet le maintien temporaire et la manipulation d’informations lors d’activités cognitives diverses telles que la lecture, le calcul, le raisonnement…etc. elle est caractérisée par deux limites importantes qui sont le nombre d’informations qu’elle peut contenir simultanément, et la capacité à les maintenir actives. Concernant la première limitation, c’est-à-dire celle de la quantité, George A. Miller a démontré que la mémoire de travail (MDT) ne peut contenir qu’environ 7 éléments, ceci par des expériences qu’il relate dans son célèbre article publié en 1956 « The Magical Number Seven, Plus or Minus Two : Some Limits to Our Capacity For Processing Information» (Le magique nombre sept, plus ou moins deux : quelques limites à notre capacité de traitement de l’information). Dans l’une de ces nombreuses expériences, la consigne était simple, elle consistait pour les sujets à se rappeler des séquences d’items dans l’ordre exact dans lequel elles leur ont été présentées. Par exemples : PRFCNTA, JRDNF, ZMNDRFAGC…etc. Les sujets ne pouvaient se rappeler sans commettre d’erreurs que les séquences comportant 7 items plus ou moins deux. On appelle cet exercice la tâche de l’empan mnésique, l’empan mnésique étant le nombre exact d’éléments que les individus peuvent immédiatement se rappeler à partir d’une séquence d’éléments. Cette capacité reste invariable avec des lettres, des chiffres, des mots, des images etc. Pour dépasser cette limite, Miller a souligné l’importance du recodage, pour former des catégories, la catégorisation permettant d’augmenter le nombre d’éléments récupérables. Par exemple, il est moins aisé de se rappeler cette série de lettres : TPC- MDN-CRIA-OIPM que la suivante : UMC-CEIL-LMD-SHS, d’autant plus pour un étudiant de l’université de Constantine pour qui cette série de lettres forment des abréviations connues, c’est-à-dire qui sont stockées en tant qu’unités dans la mémoire à long terme. En d’autres termes, le sujet à retenu 4 unités au lieu de 13 (nombre d’unités présentées). C’est pourquoi Miller considérait que la capacité de la mémoire à court terme devait être mesurée en catégories plutôt que selon des éléments isolés. Ainsi, la cause essentielle des différences de mémoire chez les individus tient à l’efficacité avec laquelle ils parviennent à grouper des objets dans des catégories familières. Aussi, il y a la stratégie de regroupement (chunking strategy) qui consiste à traiter les unités à mémoriser non pas de manière individuelle, mais en les considérant comme des groupes, c’est ce que nous faisons pour retenir un numéro de téléphone, on ne code pas les chiffres un par un mais par groupes de deux ou de trois. Ces stratégies permettent d’augmenter sensiblement la capacité de la MDT. L’autre limite de la mémoire de travail, est celle de la durée de l’information. En effet, si celle-ci n’est pas préservée par la répétition, elle est perdue. On estime aujourd’hui que la MDT a une capacité de rétention de 20 à 30 secondes. La MDT ne sert pas à enregistrer de manière passive des informations mais à maintenir à court terme des éléments en vue d’une synthèse. Par exemple, pour effectuer mentalement une multiplication comme 205 × 4, la MDT nous permet de retenir ces chiffres le temps de retrouver les sous résultats de 5 × 4 et 2 × 4 qui sont stockés en mémoire à long terme. 3. La mémoire à long terme : est un système de stockage permanent à qui l’on ne connait pas de limites tant en ce qui concerne le nombre d’informations qu’il peut conserver, qu’en ce qui concerne la durée de rétention dont il est capable. Certains psychologues suggèrent que l’information n’est jamais perdue dans la mémoire à long terme, ce qui est perdu, c’est la capacité à la récupérer seulement. La mémoire à long terme n’est pas un système unitaire, plusieurs chercheurs distinguent entre mémoire implicite, dite non-déclarative et mémoire explicite, dite déclarative. a) La mémoire implicite (non-déclarative) intervient lorsque nous utilisons des informations que nous avons préalablement stockées sans que cela ne passe par la conscience. La mémoire implicite permet la réalisation de tâches perceptivo-motrices et cognitives automatisées comme la lecture d’un texte ou la conduite d’un véhicule, c’est la mémoire des automatismes, du « savoir-faire ». Lorsque nous apprenons une nouvelle habilité, cela requiert un effort cognitif plus ou moins intense (selon le degré de complexité de la tâche) mais cet effort tend à diminuer à mesure que nous nous exerçons, que nous nous perfectionnons. Des études prouvent que la mémoire procédurale ne fonctionne de manière autonome que lorsqu’une procédure est totalement automatisée, avant cela il y a nécessairement l’intervention d’autres types de mémoires. L’imagerie cérébrale confirme cela, durant l’apprentissage, c’est la région frontale impliquée dans la mémoire déclarative qui est activée, puis, il y a un basculement progressif de cette activation vers les régions postérieures : le cervelet, les ganglions de la base et le thalamus (Beaunieux, H. 2009). b) La mémoire explicite (déclarative) est sollicitée pour la recherche consciente et intentionnelle d’informations préalablement stockées, par exemple pour se rappeler le titre d’un film vu la veille, se souvenir de la date d’anniversaire d’un ami, chercher le résultat d’une multiplication…etc. La mémoire explicite se subdivise en mémoire épisodique et mémoire sémantique (Tulving, 1972, 1983, 1985). b1) La mémoire épisodique est une mémoire autobiographique (mémoire affective), elle concerne les évènements personnels. b2) La mémoire sémantique est une mémoire encyclopédique, elle contient des connaissances factuelles, des concepts, des lois, des règles…etc. Plusieurs critères ont été utilisés pour distinguer entre les différents types de mémoires qui existent, ce sont ; la durée de stockage des informations (mémoire sensorielle, mémoire de travail et mémoire à long terme) ; le type d’informations stockées (mémoire épisodique et mémoire sémantique) ; l’état de conscience (mémoire implicite et mémoire explicite) ; et enfin la localisation cérébrale. Les types de mémoires à long terme. 2.1.5 L’ORGANISATION DES CONNAISSANCES Pour dépasser les limites contraignantes, liées à la mémoire, qui réduisent les performances dans de nombreuses tâches cognitives Plusieurs processus existent, celles-ci ont été mises en évidence grâce à de nombreuses recherches expérimentales La catégorisation Expérience : Gordon wood (1969) un groupe apprend en trois essais 54 mots d’une liste groupés en 18 catégories, et le groupe contrôle apprend les mots mélangés. Essais 1 2 3 Mots groupés 17 28 39 Mots au hasard 11 20 29 L’organisation hiérarchique Expérience : Bower, Clark, Winzenz et Lesgold (1969) Les participants à cette expérience ont vu quatre hiérarchies, chacune contenant 28 mots. Un groupe de sujets, sous la condition « organisé » a étudié les quatre hiérarchies pendant 1 minute chacune, ils ont ensuite tenté de se rappeler les 112 mots dans l’ordre de leur choix. L’étude et les épreuves de rappel étaient effectuées à trois reprises Un autre groupe de sujets sous la condition « aléatoire » voyait les mêmes 112 mots, insérés de façon aléatoire dans quatre hiérarchies. L’organisation sémantique Expérience : Holley et Dansereau (1984) des étudiants ont suivi une formation à la construction de réseaux sémantiques de différents matériels. Ces étudiants et un groupe contrôle devaient étudier un passage de 3000 mots extraits d’un traité scientifique de base sur lequel ils étaient ensuite testés, les étudiants qui avaient élaboré des réseaux sémantiques de ce matériel ont significativement mieux réussi une épreuve de question réponse et une dissertation portant sur ce passage que les étudiants du groupe contrôle Les images mentales Expérience : Lieury, Guého et Gaumont (1997) ont travaillé avec des enfants de 7 et 10 ans. Une petite liste de 8 mots ou dessins est présentée lentement (5 secondes) à trois groupes d’enfants selon trois conditions. Les mots sont présentés soit visuellement (écrits sur un carton), soit auditivement (dictés), soit sous forme de dessins, c’est-à-dire également visuellement. La supériorité de l’image sur le mot tout comme celle des mots concrets sur les mots abstraits a été établie par plusieurs chercheurs. Selon A. Paivio (1971) cela s’explique par le fait que les mots concrets contrairement aux mots abstraits évoquent des images mentales, ainsi le matériel à mémoriser est encodé à la fois sous une forme verbale et imagée, ces deux codes mnémoniques constituent deux voies d’accès à l’information stockée et offrent donc plus de chances de la récupérer, c’est la théorie du double codage. CHAPITRE 3 Bis Chapitre 3 bis 5. Quels liens entre psychologie et pédagogie (didactique) ? 36 5.1 Apports de la psychologie cognitive à l’enseignement-apprentissage 36 Objectif du chapitre Dans ce chapitre, l’objectif global consiste à prendre connaissance des liens qui existent entre la psychologie d’une part et la pédagogie et la didactique d’autre part. A la fin de ce chapitre, les étudiants seront capables de : • Mettre en pratique les connaissances acquises en psychologie cognitive notamment dans leurs apprentissages. Exemple : les étudiants seront capables d’élaborer des stratégies pour améliorer la gestion de leurs ressources attentionnelles (à partir ce de qu’ils auront appris dans le cours sur l’attention) • Utiliser les connaissances acquises en psychologie cognitive afin d’étayer et de consolider leur maîtrise de la didactique et de la pédagogie. Exemple : les étudiants seront capables de prendre en considération le fonctionnement de la mémoire dans l’élaboration d’un cours (organisation des connaissances : réseaux sémantiques, cartes 6. Quels liens entre psychologie, pédagogie et didactique ? La psychologie, par ses préoccupations quant à la compréhension du fonctionnement mental et de l’intelligence humaine, a beaucoup de conséquences sur l’enseignement et l’apprentissage. Dans ce chapitre nous allons voir l’influence qu’à eut la psychologie cognitive sur l’enseignement et l’apprentissage. Apports de la psychologie cognitive à la pédagogie et la didactique En psychologie cognitive, l’enseignement et l’apprentissage sont considérés comme des activités de traitement de l’information oU l’accent est mis sur la construction du savoir ainsi que sur les stratégies cognitives et métacognitives qui facilitent cette construction. L’objectif majeur étant plus que le simple apprentissage, le développement d’une pensée autonome et efficace. Cette conception a largement prouvé son efficience et son influence sur les pratiques éducatives qui s’est franchement accrue ces dernières années, elle marque aujourd’hui de plus en plus fortement les choix pédagogiques et didactiques. Dans son ouvrage "Pour un enseignement stratégique : l’apport de la psychologie cognitive" Jacques Tardif (1992) présente les cinq principes de base qui caractérisent l’apprentissage dans la conception cognitive, nous allons les développer dans les lignes qui suivent : 1er principe « L’apprentissage est un processus actif et constructif. » L’apprentissage est une construction personnelle, l’apprenant ne reçoit pas de manière passive les informations qui lui sont présentées, bien au contraire il les construit activement, en sélectionnant celles qui lui semblent pertinentes, en déduisant des règles à partir de situations rencontrées dans son environnement…etc. En effet, selon les variables individuelles qui les caractérisent, les apprenants ne font pas la même utilisation des stratégies cognitives et métacognitives, ils ne se représentent pas les connaissances de la même manière, et leur production d’inférence c’est-à-dire leur raisonnement est dissemblable. Autrement dit, ils n’ont pas la même façon d’apprendre et de structurer les connaissances acquises, cela étant essentiellement dU au style cognitif qui est « la façon propre à chacun de percevoir, d’évoquer, de mémoriser et donc de comprendre l’information perçue ». (Flessas, 1997, cité dans Onursal Ayirir, 2011, p. 47). Partant de ce principe, l’apprenant n’est plus considéré comme un récepteur des connaissances qui lui sont prodiguées par l’enseignant, mais comme un sujet qui élabore des savoirs nouveaux en collaboration avec celui-ci. Il est de ce fait fortement impliqué dans la situation pédagogique. 2ème principe : « L’apprentissage est l’établissement de liens entre les nouvelles informations et les connaissances antérieures. » Dans l’apprentissage, un rôle prépondérant doit être accordé aux connaissances antérieures, parce que plus une information trouve des connaissances préalables auxquelles se rattacher dans la mémoire à long terme, et plus grande sera la probabilité de l’assimiler et la mémoriser. Un des mécanismes de l’apprentissage qui s’appuie sur ce principe est la création de connaissances par analogie, auquel plusieurs recherches en psychologie cognitive se sont consacré à la fin des années 70 (Goswami, 1990 ; Nguyen- Xuan, A. 1990). L’idée de base est qu’une nouvelle connaissance (situation-cible) peut être apprise en l’assimilant à une connaissance que le sujet possède déjà (situation- source) lorsqu’elles présentent des ressemblances, c’est-à-dire des analogies, puis il s’agit de transférer des aspects de la situation-source à la situation-cible. C’est une pratique courante dans le domaine de l’enseignement. Souvent, les nouvelles connaissances viennent consolider celles déjà acquises, mais il arrive parfois que celles-ci viennent nuancer ou même annuler certaines connaissances établies. Dans ce cas, la difficulté de désapprendre, de renoncer à ces acquis nécessitera une négociation cognitive. Cette démarche s’apparente fortement au transfert des apprentissages. 3ème principe : « L’apprentissage requiert l’organisation constante des connaissances. » Organiser les connaissances c’est regrouper les savoirs par domaines d’étude, des objets selon leurs caractéristiques distinctives, c’est classer des faits selon leur périodicité, partir du simple pour aller vers le complexe…etc. L’organisation, qu’elle se fonde sur les critères thématique, périodique, de difficulté ou autre, est essentielle dans le processus d’apprentissage, puisqu’en structurant le savoir elle facilite son acquisition. Mieux seront organisées les connaissances stockées en mémoire à long terme, plus facile il sera de les récupérer. « L’organisation est un trait caractéristique de l’expertise cognitive ». 4ème principe : « L’apprentissage concerne autant les stratégies cognitives et métacognitives que les connaissances théoriques. » Aussi importantes que les connaissances générales, sont les compétences transversales ou les habilités transférables (les "key skills" en anglais). Elles sont applicables dans tous les domaines de connaissances (transférable d’une discipline à une autre). Il s’agit de l’aptitude à l’organisation, l’esprit de synthèse, la concentration…etc. La psychologie cognitive insiste sur le fait que « L’enseignant doit non seulement intervenir dans le contenu lui-même, mais encore dans le développement de stratégies cognitives et métacognitives, efficaces et économiques, qui vont permettre à l’élève d’interagir d’une façon significative avec ce contenu » (Tardif, 1992, p. 297). 5ème principe : « L’apprentissage concerne autant les connaissances déclaratives et procédurales que conditionnelles. » Selon la conception cognitive de l’enseignement-apprentissage, il faut distinguer entre trois catégories de connaissances ; les connaissances déclaratives, procédurales, et conditionnelles. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES Castellotti, V & Moore, D. (2002). Représentations sociales des langues et enseignements. Conseil de l’Europe : Strasbourg. Lempen, O & Roman, P. (2017). « Le travail des limites dans le processus d’écriture. 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